
Pourquoi tant de silence, alors que tout s’effondre ? Pourquoi ceux qui peuvent parler, agir ou dénoncer, choisissent-ils de détourner le regard ? En Haïti, le pire n’est pas seulement la violence des gangs ou l’absence d’un État fonctionnel. Le pire, c’est le silence — celui qui entoure l’exploitation d’un peuple par ses propres élites, dans l’indifférence presque totale.
Aujourd’hui, la pauvreté en Haïti n’est pas seulement le fruit de catastrophes naturelles ou de l’instabilité politique. Elle est aussi le résultat direct d’un système économique construit sur l’abus, la peur, et l’intérêt personnel. Les riches deviennent plus riches, pendant que la majorité s’enfonce dans la misère. Et tout cela se fait à huis clos, sans que personne — ou presque — n’ose briser l’omerta.
Prenons l’exemple des loyers. Dans un pays où plus de la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour, certains propriétaires demandent maintenant 800 dollars par mois pour des logements autrefois loués à 300. Ce ne sont pas des résidences sécurisées, mais des appartements ordinaires. Pourtant, la peur, l’insécurité et l’absence d’alternatives permettent à cette forme d’abus de prospérer.
Autre illustration flagrante : les billets d’avion domestiques. Autrefois accessibles à 100 dollars, ils atteignent désormais plus de 1 000 dollars. Ce n’est ni l’inflation mondiale ni une hausse du carburant qui justifient ces prix — c’est l’exploitation pure, rendue possible par l’absence totale de régulation. Un vol intérieur en Haïti est devenu un luxe réservé à une infime minorité.
Et pendant ce temps, une grande partie de la diaspora, elle aussi frappée par la peur, choisit d’investir ailleurs. Dans des pays perçus comme plus sûrs, plus stables. Qui peut les blâmer ? Pourtant, ce désengagement participe à l’affaiblissement du tissu social et économique du pays. Pendant que certains fuient ou ferment les yeux, d’autres — souvent les plus puissants — capitalisent sur le chaos.
Ce que nous vivons n’est pas seulement une crise humanitaire. C’est une crise morale. Une société où les plus forts exploitent les plus faibles sans scrupules, et où ceux qui devraient défendre l’intérêt collectif se cachent derrière le silence ou la peur.
Il est temps de dire les choses clairement : l’exploitation du peuple haïtien par ses propres entreprises, ses propres élites, est une trahison. Ce n’est pas un simple effet secondaire du désordre — c’est un choix. Et tant que ce système restera intact, aucune aide extérieure, aucune élection, aucun changement de gouvernement ne suffira à redresser le pays.
Le peuple haïtien mérite plus que de survivre dans la terreur et l’humiliation. Il mérite la justice, la sécurité et la dignité. Mais cela ne viendra que si le silence est brisé, si les consciences s’éveillent, et si ceux qui en ont les moyens — à commencer par les élites et la diaspora — choisissent enfin le camp du peuple, et non celui du profit.